Nouvel épisode dans la guéguerre que se livrent universités et grandes écoles : l'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) a rendu publique une étude sur "la formation universitaire au métier d'ingénieur". Dans son collimateur, la formation "à la française" dont on nous dit régulièrement que le monde entier nous l'envie. Rien de tel ici.
Le rapport décrit en effet trois modèles. Le premier, américain, qualifié de "modèle de référence" : on y étudie à l'université pour moitié une discipline de spécialité (la mécanique, l'électronique...), l'autre moitié de la formation étant constituée de sciences humaines, de projets de type industriel, éventuellement sous forme de stages, mais pas nécessairement, et, pour finir, de sciences fondamentales. "Il y a évidemment, tout au long du cursus, beaucoup de mathématiques, d'informatique et de physique, mais spécifiques de la spécialité et enseignées au sein de celle-ci et quand elles sont nécessaires", note l'AERES. Deuxième modèle, les cursus en cinq ans, tels que les pratiquent les universités technologiques ou les INSA : "très proches" du modèle américain, ils se caractériseraient par "l'équilibre des composantes, privilégiant la (discipline de) spécialité et les autres sciences de l'ingénieur, et minimisant les prérequis".
Marché multiforme
Vient enfin le troisième "modèle", qui, on l'aura compris, n'a guère la préférence de l'agence. C'est celui des grandes écoles, constitué de deux, voire trois années de préparation à un concours (basé essentiellement sur les maths et la physique), suivies de trois ans de formation en école. Selon le rapport, il y reste "peu de place pour l'enseignement de la spécialité, quelquefois réduite au statut d'option choisie pour la dernière année du cursus." Et l'AERES d'enfoncer le clou, en termes choisis mais assassins : "Souvent critiqué et pas toujours compris à l'étranger, ce modèle a l'incontestable avantage d'attirer vers la formation d'ingénieur des étudiants d'excellent niveau, et plus particulièrement les forts en maths. On lui attribue également les vertus d'une formation par le stress dans les années de classe préparatoire. Il apparaît donc, à ce titre, particulièrement adapté à la formation de certaines catégories d'ingénieurs de haut niveau. Mais il ne couvre pas tous les besoins d'un marché en ingénieurs très multiforme."
Et après avoir déploré que l'université française n'ait pas de formation en ingénierie digne de ce nom, mais une diversité de masters n'obéissant à aucune règle, l'agence appelle de ces voeux un 4e modèle de formation délivrée à l'université qui ressemblerait au 1er modèle. Ingénieurs "à la française", reposez en paix !
Le critère des maths
Comme on pouvait s'y attendre, les grandes écoles d'ingénieurs n'ont guère goûté cette oraison ! Par l'intermédiaire de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI), elles renvoient l'AERES à sa mission : celle d'auditer les formations universitaires existantes, non de proposer des réformes. Elles rappellent aussi que seule la CTI (la Commission des titres d'ingénieurs), composée de représentants du monde académique et du monde professionnel, est autorisée par la loi à habiliter les formations d'ingénieurs. Enfin elles soulignent qu'existent à l'université de très bonnes formations d'ingénieurs : celles qui sont délivrées dans des écoles universitaires et qui ressemblent comme deux gouttes d'eau au modèle 2 (les écoles en cinq ans), lequel n'est pas si éloigné... du modèle 3 !
Il est exact, quoi qu'en dise l'AERES, que les écoles d'ingénieurs en cinq ans ont pour l'immense majorité d'entre elles un cycle préparatoire intégré, dont le programme est calqué sur celui des classes préparatoires. En effet, elles tiennent à pouvoir accueillir dans leur 3e année des élèves issus de ces classes prépa. Mais le vrai débat est ailleurs : pourquoi tant de maths et de sciences fondamentales dans des formations dont la vocation professionnalisante est évidente ? La réponse est connue : en France, les maths servent à sélectionner les meilleurs élèves. Elles ne permettent donc pas forcément de former les meilleurs ingénieurs, mais de s'assurer que les meilleurs deviendront ingénieurs. Ce n'est pas la même chose ! Sont-ils pour autant de mauvais ingénieurs ? Les partisans du modèle "à la française" souligneront que nos ponts ne s'écroulent pas plus qu'ailleurs. Les autres déploreront que nos formations "excellentes-et-que-le-monde-entier-nous-envie", n'ont pas su enrayer le déclin de l'industrie française.
lundi 10 janvier 2011
Inscription à :
Articles (Atom)